Lenz

Rodolphe Burger

Le 20 janvier, Lenz partit dans la montagne
Sommets et hauts plateaux sous la neige
Pentes de pierre grise tombant vers les vallées
Étendues vertes, rochers, sapins
Il poursuivait sa route avec indifférence
Peu lui importait le chemin
Tantôt montant, tantôt descendant
Il n'éprouvait pas de fatigue
Mais seulement il lui était désagréable parfois de ne pas pouvoir marcher sur la tête
Au début il se sentait oppressé
Lorsque les pierres se mettaient à rouler
Lorsque la forêt grise s'agitait, se secouait à ses pieds
Et que le brouillard tantôt engloutissait toutes les formes
Tantôt découvrait à demi ses membres gigantesques
Il se sentait le cœur serré
Il cherchait quelque chose comme des rêves perdus
Mais il ne trouvait rien
Tout lui paraissait si petit, si proche, si mouillé
Il aurait aimé mettre la terre à sécher derrière le poêle
Il ne comprenait pas comment il lui fallait tant de temps
Pour dévaluer une pente
Et atteindre un point éloigné
Parfois lorsque la tempête écartait les nuages
Et déchirait un lac d'un bleu limpide
Que le vent se taisait
Et que du fond des ravins et du faîte des sapins
Montait comme une berceuse ou un carillon
Lorsque une légère lueur rouge se glissait sur le bleu profond
Il sentait sa poitrine se déchirer
Il se tenait haletant, le buste plié en avant
Bouche bée, les yeux exorbités
Il lui semblait qu'il dut laisser pénétrer l'orage en lui
Et accueillir toutes choses
Il s'étirait et s'étendait par dessus la terre
Il s'enfonçait dans l'Univers
Cette volupté lui faisait mal
Ou bien il s'arrêtait la tête dans la mousse
Il fermait à demi les yeux
Les choses alors se retiraient de lui
La terre cédait sous son corps
Devenait petite comme une planète errante
Puis plongeait dans le grondement d'un torrent
Dont les flots clairs passaient à ses pieds
Vers le soir, il parvint au sommet de la chaîne
Sur le champ de neige d'où l'on redescend à l'Ouest vers la plaine
Il s'assit
Avec le soir, tout était redevenu plus calme
Les nuages étaient figés, immobiles dans le ciel
Il n'y avait à perte de vue
Que des sommets d'où partaient de vastes pentes
Et tout était si calme, gris
Dans le crépuscule, il se sentit effroyablement solitaire
Il était seul, tout seul
Il voulut se parler à voix haute mais il n'y arrivait pas
À peine osait-il respirer
Son pied qu'il pliait sous lui faisait un bruit de tonnerre
Il fut obligé de s'asseoir
Une angoisse indicible le saisit dans ce néant
Il était dans le vide
Il bondit sur ses pieds et se mit à dévaler la pente
L'obscurité était venue
Le ciel et la terre se confondaient
On aurait dit que quelque chose le poursuivait
Que quelque chose d'effroyable allait l'atteindre
Quelque chose que les hommes ne peuvent supporter
Comme si la démence, montée sur ses chevaux, lui donnait la chasse

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