La réponse de l’âne au lion
Qui parle de mourir et pourquoi cette crainte
Qui vous fait croire, enfin, que je vous frapperai ?
En passant par le bois j’entendis votre plainte
Et mon cœur s’en émut car, à vous dire vrai
Je venais simplement, vous sachant bien malade
Proposer mes services à vos derniers instants
Éloigner, si je puis, les ultimes brimades
En les prenant sur moi, comme je fis souvent
Sire, souffrez aussi que je me réjouisse
De vous trouver, ce jour, tellement affaibli
Que je vous puisse enfin, sans craindre vos sévices
Ouvrir un peu mon cœur et parler en ami
Vous m’avez quelquefois malmené, je l’avoue
Mais ne l’avais-je point cherché ? tant il est vrai
Que trop d’humilité, à la longue, nous voue
Au rôle de victime et je ne m’en plaindrai
Je sais qu’on fait de moi un être ridicule
Je n’ai rien d’un guerrier, n’étant pas belliqueux
Mais mon courage à moi, c’est que je ne recule
Jamais ; je suis têtu de l’oreille à la queue
Certes, on n’apprécie pas ma voix dans les chorales
On peut ne pas aimer mon pelage grison
Chatouiller du bâton mon épine dorsale
Contester ma douceur autant que ma raison
Je ne suis pas venu faire un panégyrique
Mes pauvres qualités n’en demandent pas tant
À vos yeux, je le pense, il est assez inique
Que vous dussiez mourir et que je sois vivant
Le fabuliste a pu, je n’en ai point de honte
Vous donner le beau rôle à mes tristes dépens
Je dois dire pourtant, car j’en ai fait le compte
Que mon nom sous sa plume est venu plus souvent