Février En 972

C’était l’aube quand je naquis
Comme un étrange oiseau sortie de sa coquille
Puis le soleil s’élève, mon père célèbre
Du bout de ses lèvres, mon nom de clochard céleste

Avant de devenir Picaflore, je fus colibri
Je butinais l’inspiration au nectar de la vie
Haut comme trois mangues, tout me semble démesure
Le ciel un troupeau de mouton dans une prairie azur

L’imaginaire emmagasine ce qu’il ne pourra étudier
La cime du goyavier, les racines du palétuvier
C’était toujours l’aube sur mon pays natal
Allongé sur la natte la tête dans les étoiles

Scrutant les dégradés de couleurs et leur champs lexical
Transit de froid, emmitouflé d’un cyclone tropical
J’écrivais l’épitaphe des agonies nuptiales
A l’encre d’un piaf à la parure royale

Que ce soit ici ou ailleurs, il n’y a que l’amour qui prime
Que ce soit la plume ou l’épée, il n’y’a que la pointe qui s’exprime
Du Panthéon des grands je me demande ce qui me prend
Montrant que je me sens ridicule je rappelle Léon Gontran

A six ans j’écrivais saison des pluies sur mon pupitre
Et l’Afrique sous ma plume est devenu mon seul topique
J’idéalise rien, je connais l’Afrique de Stephen Smith
On attendait le soleil, finalement ce qu’il faut c’est une éclipse

Car la savane brûle, la saison est blanche et sèche
Mon cœur s’assèche, dans le carquois de l’ange pénurie de flèches
Je suis un homme de plein vent et je rejette leur industrie
Je suis un nomade d’un nouveau temps et ces paroles sont comme un cri

Une note de kora, un vautour dans les nuages, la rosée du matin
Je voulais finir sur cette image

Mais je me réveille un jour dans un monde qui fait
Où les mots se frangent de silence, où la haine s’inhale
Où l’on me demande de me battre constamment
Il n’y a que deux camps, la victoire ou l’anéantissement

Ce monde n’a pas le goût d’une cacahuète à l’apéro
Il a l’odeur d’une conclusion des éditions Maspero
La contingence me détermine, il faut que j’y déroge
Oh mon corps fais de moi un homme qui toujours interroge

De mes lectures adolescentes les pages s’éparpillent
Et j’ai la plume incandescente quand les yeux s’écarquillent
Je vis à la marge par hommage au marronnage
Ma culture est créole comme un mélange d’aromates

Quand l’art est acculé et l’âme amoureuse
La prose devient vite une armée miraculeuse
Si la révolte est une femme, je suis un jeune encore sage
Qui fantasme en zyeutant l’échancrure de son corsage

Les pètes crachent la fumée, les cheminés d’usine
Ici c’est la zone zombie, y’a des trous dans l’ozone
Les palmiers décapités, les ciels de faubourgs
Chavirés dans ma pirogue j’ai le lyrisme de Flaubert

Mon flair mon flow inspirés par bois d’ébène
Et ma couleur de fermentant douleur et peine
Moi j’aimerais vivre ivre de musique et de poésie
Mais ma peu ici me rappel le nécessaire de ma réussite

Je me montre rationnel et trop pragmatique
Mais comme René Depestre je suis Nègre rebelle et romantique
J’ai pleuré l’Holocauste et nos moments graves
Exilé, nègre marron dissimulé dans la mangrove

Mais y’a que mon groove qui me soigne, me saigne les veines
Je suis chez moi comme la médisance est chez elle à Jacmel
Ma pensée n’est qu’universalisme, aujourd’hui j’ai rien
Moi je veux naître martiniquais et je veux mourir algérien!

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